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Artiste/Artsite, suite.

lundi 11 janvier 2010, par Margot Cauquil-Gleizes

Une réflexion qui se tisse entre Samuel Aubin et Margot Cauquil-Gleizes sur les enjeux, le rôle et la place d’un artiste en résidence au sein d’un établissement scolaire.

Cher Samuel,

Tu sais qu’il y a des coïncidences heureuses.
J’ai en tête ta longue lettre, et tes questionnements qui accompagnent mes réflexions actuelles. Et puis, à la bibliothèque de Montreuil, je suis attirée par un petit livre qui dépasse d’un rayonnage. Il s’intitule Penser l’art à l’école.
Je savoure le moment comme un présage d’enrichissement futur. Mais cela ne s’arrête pas là. J’ouvre au hasard le petit livre pour goûter à l’écriture (on pourrait être déçu sait-on jamais..) et tombe sur la page 23.

Une question est posée : « J’aurais voulu savoir la définition que vous avez du mot artiste ? » et c’est Pierre Bourdieu qui répond : « L’artiste est celui dont les artistes disent c’est un artiste. L’artiste est celui dont l’existence en tant qu’artiste est en jeu dans ce jeu que j’appelle champ artistique. Le monde de l’art est un jeu dans lequel est en jeu la question de savoir qui est en droit de se dire artiste, et surtout de dire qui est artiste. C’est une définition qui n’en est pas une et qui a le mérite d’échapper au piège de la définition, dont il ne faut jamais oublier qu’elle est en jeu dans le champ artistique. »

Ce que dit Bourdieu est à mon sens l’alpha et l’oméga de la question suis-je ou non une artiste. J’en suis une si ma proposition (mes œuvres) rentre dans le jeu défini par ceux qui délimite le champ. Ici, à l’école, le champ artistique n’est que représenté, il n’existe pas en vrai. Cela déplace l’enjeu.
Il s’agit donc, au-delà de la supposée pose de l’artiste, de décrypter, de se confronter et de jouer un temps soit peu le jeu de l’institution (en l’occurrence le Conseil général) qui t’a élu en tant que représentant qui endosse ce nom d’artiste, afin de participer à ces résidences nommées par l’institution locale « résidence d’artistes ».

Au-delà « des vrais artistes, des faux artistes (et la question matérielle n’est à mon sens pas le seul critère d’évaluation entre ces deux « catégories »), voire des imposteurs » (Pierre Bourdieu), il me semble donc que la désignation de qui est artiste se passe en dehors de lui, via la critique, l’institution muséale, culturelle, le collectionneur, le galeriste, le public voire le très grand public… Et dans cette position d’artiste désigné et obligé (envers l’institution) que permet le « je » de l’artiste au regard de la construction de l’élève ?

Bien sûr, nous pourrions poursuivre ce questionnement à l’envi. Mais revenons au partage des expériences dans le cadre qui nous préoccupe.

J’entends bien que tu n’as pas d’atelier fixe, ou qu’il serait partout et nulle part, t’accompagnant sans cesse.

J’ai été intéressée dans ta réponse par la dimension politique que tu analyses à mon sens très justement ainsi que les enrichissements éprouvés entre toi au travail et l’Autre, et ce que ça t’a appris sur ton propre travail. C’est toute la question du regard posé sur sa pratique (par opposition à la production) qui est contenue ici, et surtout la mise en partage du travail en cours (work in progress) habituellement vécu dans le retrait ou l’isolement.

Je pense donc que l’essentiel, à la place que l’on se choisit et qui n’est peut-être pas figée, est d’occuper cette position de façon pleine et entière, entièrement dévoué au travail en cours et aux tissages avec l’environnement qui est dans notre cas de figure un matériau humain, mouvant, fragile, riche, surprenant ; et de profiter de ce qu’il offre en jouant de la porosité des espaces et du temps à l’œuvre afin d’enrichir sans cesse un regard informé et distancié sur notre rapport au monde. Ce que j’aimerais, Samuel, en tant qu’artiste-enseignante, c’est qu’il subsiste de cet atelier « au cœur du monde » (Blaise Cendrars) la trace des va-et-vient entre l’intérieur et l’extérieur, des « frottements avec le monde » (ici les élèves et les enseignants). Une façon de témoigner de cette aventure singulière.

Bien à toi,

Margot Cauquil-Gleizes

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